À travers son projet Thin Air, Cemil Batur Gökçeer dessine une archive sensible du désastre, qu’il photographie des architectures désolées, des proches dans des moments de bascule ou des catastrophes naturelles. Il aborde ainsi cette notion d’un point de vue interne en la confrontant à l’expérience, le mot générique désastre nous tenant lui‑même à distance de la singularité de la situation éprouvée. Dans une démarche personnelle, l’artiste s’est porté volontaire et s’est rendu dans des lieux exposés à des catastrophes naturelles. Les prises de vues, souvent atmosphériques, qu’il a réalisées dans ce contexte ne cherchent pas à documenter l’événement mais relèvent d’une transcendance (une brume, une faille ou une béance dans la roche sont des motifs récurrents).

C’est alors qu’il décide de faire intervenir le hasard et l’aléatoire dans son processus de travail. II laisse advenir une nouvelle voie face à l’indicible. L’artiste soumet la pellicule à une triple exposition, chaque pellicule étant réexposée deux fois. Une image du doute émerge où différents éléments se superposent. Celle-ci devient plus complexe à déchiffrer. L’artiste compare ce processus à un rituel de lecture dans le marc de café dont il est coutumier, autrement dit à une forme d’interaction qui ouvre une brèche dans la manière de lire et d’interpréter des questions essentielles. L’acte expérimental devient un processus de transformation et de soin. Ce mince filet d’air que laisse échapper le titre est le signe d’un souffle de vie qui ne peut se résoudre à être étouffé.